Si maintenant nous passons à l’autre extrême, celui qui est représenté par l’industrie moderne, nous voyons que l’ouvrier y est bien aussi anonyme, mais parce que ce qu’il produit n’exprime rien de lui-même et n’est pas même véritablement son œuvre, le rôle qu’il joue dans cette production étant purement « mécanique ». En somme, l’ouvrier comme tel n’a réellement pas de « nom », parce qu’il n’est, dans son travail, qu’une simple « unité » numérique sans qualités propres, qui pourrait être remplacée par toute autre « unité » équivalente, c’est-à-dire par un autre ouvrier quelconque, sans qu’il y ait rien de changé dans le produit de ce travail et ainsi, comme nous le disions plus haut, son activité n’a plus rien de proprement humain, mais, bien loin de traduire ou tout au moins de refléter quelque chose de « supra-humain », elle est au contraire réduite à l’« infra-humain », et elle tend même vers le plus bas degré de celui-ci, c’est-à-dire vers une modalité aussi complètement quantitative qu’il est possible de la réaliser dans le monde manifesté. Cette activité « mécanique » de l’ouvrier ne représente d’ailleurs qu’un cas particulier (le plus typique qu’on puisse constater en fait dans l’état actuel, parce que l’industrie est le domaine où les conceptions modernes ont réussi à s’exprimer le plus complètement) de ce que le singulier « idéal » de nos contemporains voudrait arriver à faire de tous les individus humains, et dans toutes les circonstances de leur existence ; c’est là une conséquence immédiate de la tendance dite « égalitaire », ou, en d’autres termes, de la tendance à l’uniformité, qui exige que ces individus ne soient traités que comme de simples « unités » numériques, réalisant ainsi l’« égalité » par en bas, puisque c’est là le seul sens où elle puisse être réalisée « à la limite », c’est-à-dire où il soit possible, sinon de l’atteindre tout à fait (car elle est contraire, comme nous l’avons vu, aux conditions mêmes de toute existence manifestée), du moins de s’en approcher de plus en plus et indéfiniment, jusqu’à ce qu’on soit parvenu au « point d’arrêt » qui marquera la fin du monde actuel.
Le règne de la quantité
J'ai de plus en plus envie de me le prendre, mais c'est un peu cher et j'ai d'autre livre que je veux prendre donc je vais attendre.