Ce matin, je venais de finir de me laver et de m'habiller. Connaissant ma grande distraction, j'entreprenais de vérifier si tout était bien en ordre dans mon habillement, cela en m'examinant consciensieusement, de la tête aux pieds. Ce fut précisément en arrivant aux pieds que je décelai un léger problème : j'avais une chaussette blanche au pied gauche et une chaussette noire au pied droit.
Plusieurs questions se posèrent aussitôt, auxquelles je décidai de répondre dans un ordre logique et constructif quant aux décisions à finalement prendre. Cela se remarquerait-il ? Cela pourrait-il choquer ? Ne pouvais-je invoquer une nouvelle mode pour justifier la disparité ? Ayant, après sérieuse réflexion, répondu « oui, oui, non » à ces trois premières questions, je dus admettre que je ne pouvais laisser les choses en l'état. Restait à décider « quoi faire » ...
J'aurais pu ôter les deux chaussettes et enfiler une nouvelle paire, de couleur grise par exemple : cela aurait nécessité l'enlèvement de deux exemplaires et forcément l'enfilage d'un même nombre, soit quatre opérations. J'eus alors l'idée de jeter un oeil au panier où mes chaussettes sont rangées et j'eus le plaisir d'y trouver, outre des paires assorties, une blanche et une noire isolées ! Je sentais confusément que je m'approchais de la solution.
Mais il restait un problème de taille : laquelle allais-je retirer pour la remplacer par la « soeur » de l'autre ? Il n'y avait heureusement que deux alternatives : remplacer la blanche par la noire ou remplacer la noire par la blanche. Cela aurait pu se faire très simplement, en fonction de la couleur que j'aurais souhaité porter ce jour-là, mais malheureusement, je n'avais pas de réelle préférence pour une quelconque couleur. Je résolus donc de m'en remettre au hasard ...
Je pris les deux chaussettes dépariées dans la main gauche et m'apprêtai à les lancer en l'air, pour pouvoir ensuite choisir d'enfiler celle qui tomberait en premier lieu. Aussitôt décidé ainsi, aussitôt mis en oeuvre. Et hop, elles s'élancèrent d'un bon mètre, puis retombèrent ... en même temps par terre. Je refis plusieurs tentatives, malheureusement toujours avec le même résultat ; peut-être y avait-il un très léger écart dans l'atterissage, mais il n'était pas perceptible à l'oeil.
Cela provenait sans doute du fait qu'elles étaient, toutes deux lancées de la même hauteur avec la même force ; il me fallait trouver une méthode pour obtenir une dissimilarité des trajectoires.
Soucieux d'obtenir deux lancements d'une hauteur, d'une force et d'un angle différents, je réfléchis longuement à la procédure la plus appropriée. Avec « Le Beau Danube Bleu » de Johann Strauss pour rythmer l'opération, je pris une chaussette dans chaque main, et débutai une valse tournoyante solitaire en battant des bras. Après un nombre de mesures que j'avais prédéterminéees, j'effectuai mes lancers ... et eut la satisfaction immédiate de constater la réussite de mon essai : la chaussette blanche resta accrochée au lustre, tandis que la noire tomba victorieusement au sol.
Respectant le verdict de la valse hasardeuse, j'ôtai la chaussette de mon pied gauche et l'envoyai se reconstituer en paire ... dans le lustre ; j'enfilai ensuite la noire gagnante à ce même pied.
Heureux d'avoir pu résoudre aussi brillamment ma première difficulté de la journée, je pus me mettre en route d'un pas joyeux.
